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Date de publication : 12/07/2021
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#ParisTech Alumni : A la rencontre de Philippe Bouyer, chercheur, alumni de l’Institut d’Optique

Philippe Bouyer raconte son expérience de chercheur et sa collaboration avec la Chine

Directeur de recherche au CNRS,

Directeur adjoint de l’Institut d’Optique Graduate School,

Rédacteur en chef de AIP-AVS Quantum Science,

Cofondateur de Muquans

Qu’est-ce qui définit le mieux le métier de chercheur d’après vous ?

Le métier de chercheur est avant tout un métier en perpétuelle évolution tout au long de notre carrière. L’essence même de ce métier est de remettre en question nos acquis pour pousser plus loin la connaissance. Au fil des recherches que nous menons, cela nous conduit à imaginer de nouveaux sujets, de nouvelles directions, à acquérir de nouvelles compétences. Notre métier évolue aussi au fur et à mesure des responsabilités que nous prenons, en devenant responsable de projets scientifiques, d’équipes de recherche ou de laboratoires. C’est aussi un métier qui nous ouvre vers le monde industriel et l’innovation, la création d’entreprise, les mis en place de grands projets. C’est enfin un métier ou, perpétuellement, nous nous confrontons à des jeunes scientifiques que nous formons et qui apportent, en retour de nouvelles idées, une nouvelle dynamique.

Pouvez-vous décrire les grandes lignes de votre domaine de recherche ?

Aujourd’hui, mon activité de recherche a pour point central les atomes froids et les ondes de matière. Les sujets que j’aborde vont du développement dans les technologies quantiques, en particulier les capteurs à ondes de matière qui peuvent trouver des applications dans la géodésie ou la navigation, aux tests plus fondamentaux de la physique comme la détection d’ondes gravitationnelles, le couplage entre relativité et physique quantique ou la simulation de phénomène de matière condensée, en utilisant les atomes froids comme outil.

Comment conciliez-vous vos fonctions de directeur délégué de l’antenne Aquitaine de l’Institut d’Optique Graduate School, de directeur du Laboratoire Photonique, Numérique et Nanosciences, de fondateur de la société Muquans et de directeur de recherche du CNRS ? A quoi ressemblent vos journées de travail ?

Toutes ces activités ont un fil conducteur commun : une activité créative, d’innovation demandant une analyse scientifique approfondie. Bien entendu, les sujets peuvent être différents et les interlocuteurs variés. Pour chacune de ces fonctions, il faut échanger avec nos collaborateurs et nos partenaires. Cela représente des journées de travail assez chargées, où il faut parfois passer d’un sujet à un autre rapidement en restant focalisé.

Quelles sont la particularité et le positionnement de l’Institut d’Optique d’Aquitaine par rapport à sa « maison mère » sur le campus de Paris-Saclay ?

L’Institut d’Optique d’Aquitaine, c’est avant tout un bâtiment, construit et financé par la Région Nouvelle Aquitaine, qui regroupe en son cœur les acteurs importants de la « filière photonique » : l’Université de Bordeaux, Alphanov, le pôle de compétitivité Alpha-RLH et l’antenne Aquitaine de l’Institut d’Optique Graduate School. Pour cette dernière, un accent particulier est donné sur les deeptech et les innovations de rupture, comme le numérique, le quantique ou les nanosciences. Un des grands enjeux est de former des ingénieurs qui auraient une capacité à être au cœur du développement de ces technologies, ceci implique de former des ingénieurs avec une solide formation en optique et photonique, comme à Palaiseau, mais avec une ouverture multidisciplinaire, en particulier vers le numérique.

Vous dirigez le Laboratoire Photonique, Numérique et Nanosciences depuis sa création en 2011. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la vie de votre laboratoire ?

Le LP2N a été créé le 1er janvier 2011 à l’initiative de l’IOGS, du CNRS et de l’Université de Bordeaux pour développer une recherche multidisciplinaire à l’interface entre la photonique, l’informatique et les sciences de l’infiniment petit. Ces 10 ans ont été une formidable aventure : en partant « d’une feuille blanche », nous avons en dix ans construit un laboratoire qui héberge jusqu’à 100 chercheurs, enseignants, doctorants, post-doctorant, qui est impliqué dans des programmes de recherche au premier plan international sur les ondes gravitationnelles, les capteurs quantiques, l’imagerie biomédicale, la simulation des matériaux et de leur apparence … Le laboratoire a aussi été particulièrement actif côté innovation et valorisation avec 2 laboratoires communs avec l’industrie, et 3 créations d’entreprises dans les technologies quantiques, les lasers et la biomédecine.

Vous êtes également directeur de l’innovation et de la relation aux entreprises de l’IOGS depuis l’année dernière. Pouvez-vous nous parler du fameux « 503 » de l’IOGS et de sa filière FIE à l’origine de success stories comme celles de STEREOLABS, DAMAE Medical, IPSELIOS ou MINUIT UNE.

Une des missions historiques de l’IOGS est d’établir et maintenir un pont entre formation, recherche et industrie. Les espaces entrepreneuriaux « 503 » sont un parfait exemple de ce que peut faire l’IOGS pour remplir cette mission. On y héberge des étudiants qui se sont lancés dans la filière innovation entrepreneuriat (FIE) de la formation d’ingénieur, des entrepreneurs chevronnés qui s’installent avec nous et jouent le rôle de grand frère pour les étudiants, des chercheurs et des étudiants qui souhaitent profiter de cet environnement unique, avec un FABLAB hautement technologique entre autres. Sur Orsay, nous allons entrer dans une nouvelle dynamique avec une réhabilitation complète du bâtiment historique de l’Institut pour offrir aux résidents, et aussi aux visiteurs, des espaces de coworking, des design centers, des espaces ou les entreprises pourront apprendre, et tester, des méthodes de production agiles et efficaces. Depuis plus de 10 ans, l’espace 503 et la FIE ont su montrer leur efficacité, mais nous souhaitons maintenant aller plus loin, accompagner les entrepreneurs dans la croissance de leur entreprise, avec une priorité, bien entendu, pour l’innovation de rupture, la photonique, les deeptechs.

Votre groupe de recherche s'intéresse aux simulateurs quantiques et aux interféromètres quantiques à atomes ultra-froids. Comment voyez-vous l’avenir des technologies quantiques, et quelles applications verront bientôt le jours d’après vous ?

L’engouement actuel pour les technologies quantiques n’est pas un hasard. C’est une science qui a plus d’un siècle, et cela fait plus d’un demi-siècle que les grands principes de la révolution qu’elle peut entraîner sont étudiés avec succès dans les meilleurs laboratoires du monde. Le plus prometteur, mais aussi le plus ambitieux, c’est bien sur l’ordinateur quantique. Même si cela paraissait encore de la science-fiction il y a seulement quelques années, aujourd’hui, cela devient une réalité, avec des grands groupes comme Google, Alibaba, IBM, ATOS mais aussi des startups innovantes comme, par exemple, la société Pasqal qui a été créée à l’IOGS et constitue aujourd’hui une des potentielles licornes dans le domaine. Le potentiel de ces machines et de ce qu’elles nous aideront à accomplir est sans doute largement sous-estimé, comme c’était le cas pour les premiers ordinateurs il y a à peine 50 ans. Les capteurs quantiques sont un peu plus mur, puisqu’il s’en vend déjà plusieurs par an, et on commence déjà à entrevoir certaines applications comme la navigation sans GPS, la prospection sous-terraine sans besoin de forage, la prévision de catastrophes comme les séismes ou les éruptions volcaniques.

Quelques questions sur la Chine :

Est-ce que vous collaborez avec la Chine et, si oui, sur quels sujets ?

J’ai des contacts étroits avec plusieurs groupes de recherche, en particulier à Pékin, Wuhan ou Shanghai. Nous échangeons beaucoup sur des collaborations potentielles à l’échelle internationale, que ce soit pour étudier les gaz quantiques sur la station spatiale ou pour construire des grands instruments capables de détecter des ondes gravitationnelles. Aujourd’hui, cependant, tous ces programmes restent purement nationaux. J’ai aussi l’honneur d’être un des membres du conseil scientifique du Shanghai Institute of Optics and Fine Mechanics (SIOM) de l’Académie des sciences de Chine où j’ai l’occasion d’apprécier la qualité de la recherche développée dans ces instituts d’excellence.

Est-ce que vous encadrez des étudiants chinois ? Comment se passe leur intégration dans votre groupe de recherche et dans la vie du laboratoire ?

Plusieurs étudiants et étudiantes chinoise travaillent dans mon groupe de recherche. Le contact s’est souvent établi à travers les contacts et collaborateurs en Chine. L’équipe est fortement internationale, avec des Européens, des Indiens, des Américains et des Chinois entre autres, il est donc facile de s’intégrer, tout le monde parle anglais. Le laboratoire lui-même accueille beaucoup d’étudiants et post-doctorants chinois, rendant ainsi l’intégration et le quotidien plus facile.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune étudiant chinois qui souhaite s’engager dans une carrière de chercheur dans le domaine des technologies quantiques ? Comment fait-on pour devenir doctorant dans votre équipe de recherche ?

La physique quantique, et plus généralement le recherche sur les technologies quantiques, est un domaine exigeant qui demande à acquérir beaucoup de compétences techniques et scientifique. Les sujets de thèse sont souvent longs, parfois frustrants car on voudrait avancer plus vite. Il faut donc faire preuve de patience et de persévérance, car souvent, le résultat est à la hauteur de l’effort et de l’attente. Nous sommes toujours heureux de partager cette passion pour le quantique avec des étudiants, mais il faut bien sûr que ces derniers soient motivés, prêt à apprendre et à sorti de leur « zone de confort » : le jeu en vaut la chandelle.

 

Philiippe Bouyer sur Wikipedia

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